Terrible Temps

On me demande parfois pourquoi je veux devenir archéologue. La plupart des gens trouvent l’idée drôle ou même exotique. Ceux qui m’aiment prennent cela comme une lubie, une passion, un vague caprice. Pourtant, cela n’a rien d’irraisonnée.

Non… Cela vient de ma plus grande peur. Je n’ai pas peur des araignées, je n’ai pas peur des gens. Ma véritable peur, c’est de disparaître, par-là, je n’entends pas mourir mais bien « disparaître », au sens le plus strict. Disparaître peu à peu des esprits, de voir mes petits enfants m’oublier, puis mes enfants. Je ne veux pas être oublier, non… Ca me serait terrible. J’ai trop peur de ça.

Alors, comme pour me rassurer, comme pour conjurer la peur. Je veux travailler à ce que plus personnes ne soient oublier. Je veux qu’on se souvienne de cet homme qui construisait le Temple d’Artémis à Corfou, je veux qu’on se souvienne de ce petit garçon qui jouait au dès avec son grand-père, une chaude journée d’été, à l’ombre du jardin du Mausolée d’Auguste. Je veux qu’on se souvienne de ce pauvre gars qu’on a trouvé sur la route un jour, mort de fatigue le long de la route de St Jacques de Compostelle et qu’on a enterré au bord du chemin dans une tombe anonyme, à défaut de connaître son nom.

Drôle de piège dans lequel on tombe sans cesse qu’est celui du temps. Terrible puissance nous dominant de sa toute puissance, il dicte nos vies. On a toujours peur d’être en retard, on arrive souvent en avance. Arrivé trop tard et des vies peuvent être balayer, se précipiter et dans la précipitation et échouer. On le dit inexorable, inarretable, différent pour chacun et pourtant pareil pour tous.

Chaque jour ce lever à telle heure car on doit être à telle heure à un endroit pour suivre une action pendant un temps donné puis se demander si on a le temps, se dire qu’on est pressé, courir sans cesse derrière le temps, sans jamais avoir vraiment le temps, au fond, d’observer vraiment le temps qui passe.

Ce temps qui passe si vite devant nos yeux, qui laissent doucement et imperceptiblement des traces, sur nos visages, notre peau, notre corps, notre âme, nos amours, nos amitiés, nos souvenirs, ce qui fait que nous sommes-nous, comme un fléau silencieux qui vient lentement saper, le fondement même de nos esprits.

Une force qui est lente et rapide, imperceptible mais puissante, terrible et inévitable. Une force qui abat les montagnes, en construit d’autres, englouti des océans pour en faire naître d’autres. Une puissance qui vient nous dessécher jusqu'à l’os, qui s’acharne sur nos cadavres et fait s’évanouir jusqu'à l’idée même de notre existence. Toutes nos tentatives sont inutiles, les monuments, chargé de souvenir, tombe toujours. Ce qui s’élève tombera un jour, c’est ainsi. Entouré par un passé terrassé par la puissance du temps et par un futur incertain et terriblement inconnu, nous tentons, pauvre fou que nous sommes, de maîtriser le présent. Pourtant, le présent n’est qu’un instant éphémère qui glisse entre nos doigts comme les grains de sables, seuls certains restent, s’attardant un bref et court instant, dans notre esprit éphémère avec l’espoir de connaître l’immortalité.

Une immortalité qui ne peut être atteinte que par un seul et unique moyen, le souvenir. Seul arme face à la puissance du temps, elle représente notre mince et faible espoir de laisser une trace. Alors, il est important que nous nous souvenions, que nous nous souvenions qu’on s’est coupé hier avec un couteau, comment on a embrassé la première fois, comment on est devenu ami, comment notre grand-mère nous faisait ce chocolat qu’on aimait tant.

On doit se souvenir, car les souvenirs, se sont les seules choses qu’ils nous restent. Et comme nous même, nous sommes éphémères, n’oublions pas de transmettre nos souvenirs car ils seront ce qui restent de nous quand nous serons morts.